Grandeur et décadence
Que reste t’il aujourd’hui des artistes qui furent en leur temps des génies absolus et prolifiques; des hommes dont la vision musicale a profondément marqué la musique contemporaine et influencé plusieurs générations de musiciens ? Voici, avec le recul mes impressions sur mes artistes préférés que je n'épargne pas !
Mike oldfield :
Difficile dé résumer l’œuvre gigantesque de ce musicien éclectique, torturé et fascinant. Il est aussi l’un des seuls à avoir rigoureusement touché à tous les genres musicaux (avec plus ou moins de bonheur cependant). Instrumentiste virtuose et compositeur brillant, on peut légitimement penser qu'il a pris une retraite anticipée en 1985 (juste après la tournée Discovery). Pourquoi un jugement aussi sévère?
De Tubular bells (1973) à Discovery (1984), Mike livre une production musicale terrassante de qualité quelque soit le genre abordé: son jeu de guitare unique et intense (chaque note est travaillée tel un orfèvre), sublime toutes ces compositions géniales, que ce soit de longs morceaux planants (Incantations, Ommadawn), du rock (Crises), du folk (Moonlight shadow), etc… D’ailleurs on se demande bien qui est le plus génial sur ces albums : le compositeur surdoué ou le guitariste en état de grâce? Il est amusant de constater qu'en live, ses prestations sont à la hauteur des albums, voir même plus encore car par moments Mike envoie du "lourd" et se prend même pour Ritchie blackmore (bon ok j'exagère mais pas tant que ça tellement son niveau de jeu était élevé) On peut également penser qu'avec "Ommadawn", il a quasiment inventé la "world music" en 1975, soit bien avant Peter Gabriel...
Malheureusement, à partir de 1985, Mike semble avoir tout donné : les albums suivants, même s’ils bénéficient d’une production 5 étoiles, sont étrangement vides et sans profondeur ni saveur comparés à leurs prédécesseurs (l’indigeste « Islands », le commercial « Earth moving », l’anecdotique «Heaven’s open »). Les morceaux s’écoutent… et s’oublient sans vraiment déclencher la passion. Mike fait son mea culpa car Virgin le tanne pour faire du commercial (des chansons rentables pour le top 50…). Certes, mais même lorsqu’il signe chez Warner en 1992 et qu'il retrouve les coudées franches, les albums livrés sont loins de retrouver le niveau d’antan : « Tubular bells 2 » n'est qu'une (trés bonne) séquelle du 1, « Songs from distant Earth » est réussi dans le genre Vangelis/Enigma mais un peu « easy listening » ... Puis c’est la dégringolade : Tubular bells 3, Voyager, Millenium Bell manquent cruellement d’inspiration quand ce n’est pas franchement commercial (influence Ibiza). Bon évidemment, depuis 1985, il y a bien quelques perles qui laissent entrevoir tout le potentiel dont dispose encore le bonhomme; ce qui est d’autant plus frustrant! De même, tout le monde a cru à sa résurrection lors de la sortie d’Amarok en 1990, impression immédiatement démentie par l’album suivant: c'était donc le chant du cygne!
Aujourd’hui le constat est tragique pour le fan de la première heure: sa guitare fiévreuse s’est considérablement assagie (endormie ?) et n’est plus qu’un accessoire au milieu des synthés et autres plug ins (Mike est un addict de technologies...). Je suis pratiquement sûr qu'il est incapable de rejouer ses propres partitions des seventies ou du début des 80s... De même, ressassant sa gloire passée (Man in the rain, Tubular Bells 2003) ou s'enlisant dans une techno stérile, le compositeur semble ne plus rien avoir à dire (ce qu’il ne réfute pas lui-même…). Il serait exagéré de dire qu’il n’est plus que l’ombre de lui-même parce qu’il est encore capable de quelques prouesses éparses et qu’il dispose d’un redoutable savoir faire (je dois avouer que "Shabba" est tellement beau que j'en ai pleuré la première fois que je l'ai entendu...); d'ailleurs même le moins bon de ses albums reste objectivement un "bon album" par rapport à Jarre, Tangerine Dream "récent" (beurk!) ou un Vangelis en petite forme... mais comparé au grand Mike Olfield des débuts, l’inspiration n’est plus vraiment là contrairement à l’arthrose des doigts ! Un retraité je vous dis…
Bon, l'an dernier Mike est enfin sorti de sa retraite pour nous émerveiller à nouveau avec un retour aux sources inespéré. Les miracles existent donc?
Albums préférés : Tubular bells, Ommadawn, Incantations, QE2, Five Miles Out, Platinum, Amarok. Crises, Discovery, de purs joyaux musicaux…
DVD indispensables : Exposed (79) et Montreux (81) pour bien comprendre qui était Mike Oldfield, malgré les pains...
Klaus Schulze :
Pour beaucoup d'artistes, le processus créatif alterne bien souvent avec des périodes de farniente: l'artiste entre en studio dés qu’il a suffisamment de matériel pour sortir un album (même si les maquettes sont faites à la maison).
Chez Schulze, c’est tout à fait l’inverse : le processus créatif est non stop pour plusieurs raisons : primo le bougre a de l’inspiration à revendre, secundo il travaille chez lui tous les jours (ou plutôt tous les soirs) puisqu’il dispose d’un « vrai » studio à la maison (c’est un - sinon "le"- pionnier du home studio) ; et enfin il fait tout lui même: composition, interprétation et production. Depuis ses débuts, rien n'a changé dans sa méthode de travail : stakhanoviste (au point de mettre sa santé en danger) et extrêmement productif ; les albums ne sont en fait que des « moments clefs » d’un seul et même élan créatif amorcé il y a… 40 ans !. A noter que tous les travaux de studio inédits et la plupart de ses lives ont été publiés en éditions limitées et démontrent avec force propos que les disques officiels ne sont bien que la partie visible de l’iceberg. Mais continuité n’est pas linéarité et sa musique a toujours évolué au fil du temps, le principal facteur étant l’instrumentation elle-même puisqu’en matière de musique électronique, le son joue un rôle prépondérant. Donc tout comme chez certains peintres (Dali , Picasso) on peut distinguer différentes « périodes » :
Les débuts : fortement influencé par le Pink Floyd de "Saucerful of secrets" et "Ummagumma"…, Schulze intègre comme batteur ( !) des formations Berlinoises jouant un rock psyché assez barré (dont Tangerine Dream, Ash Ra Temple). Puis rapidement, Klaus fait cavalier seul : il veut expérimenter une « nouvelle musique » à l’aide d’orgue, de phasing et de chambre d’échos. Malgré l’absence de synthés et de séquences, les racines de son œuvre sont là : de longues plages atmosphériques, à la fois mouvantes et immobiles comme un kaléidoscope ; mais jamais ennuyeuses. La grande force de Schulze sur ses contemporains étant de ne jamais délaisser l’aspect musical pour l’expérimentation : les deux se fondent l’un dans l’autre à la perfection. Les critiques crient au génie ; Schulze lui, commence à s’intéresser à ses drôles de machines aux sonorités irréalistes qui semblent taillées pour sa musique…
La période "cosmique": Très rapidement Klaus maîtrise ces nouveaux instruments qui donnent à sa musique son aspect définitif. Superposant les nappes, les séquences, les effets et inventant au passage une myriade de sons inédits, Schulze est au sommet de son art et de sa popularité à partir de 1975: chaque album, chaque concert est une immense claque auditive, ce qui lui vaudra ad vitam l’étiquette de « pape de l’électronique ».. Aujourd’hui encore cette musique demeure magique et insurpassée (même par Schulze himself). A posséder impérativement : Timewind, Moondawn, Mirage, Body love, « X »
Les débuts du numérique : Les seventies se terminent, la mode change et Schulze ne s’y retrouve plus dans une industrie du disque qui exige de ses artistes des « produits » rentables plutôt que de « l’art »… Refusant de se compromettre à faire de la merde, il disparaît du devant de la scène. Il continue à produire sa musique (un album par an) et multiplie les collaborations plus ou moins heureuses (Arthur Brown…), mais la dépression le guette : terminé les espaces étoilés des seventies (« death of an analog », « trancefer »…), place à une musique cybernétique suintante et computerisée d’une noirceur extrême. Techniquement toujours au top (le Fairlight côtoit le minimoog..) ; « Audentity » sort en 1983: une thérapie musicale à la manières du « the Wall » de Roger Waters qui lui permet de rester en phase avec lui-même et de garder « son identité » .
L’avénement du midi : Vers 1985, schulze commence à travailler avec la norme midi et les premiers séquenceurs hard et informatiques. Mais la dépression est là (il perd énormément d'argent avec ses différents labels...) et il sombre dans l'alcoolisme. Il refait surface fin 1987 avec « En trance »: le maître semble de retour et livre 4 morceaux fabuleux d’une musique à la fois «Schulzienne» dans le fonds (les longues plages éthérées) et renouvelée dans la forme (il utilise exclusivement les Roland derniers cris, D50 en tête)… Il produit également un album d'Alphaville et collabore avec leur chanteur, l'excellent Marian Gold.
La période « sampling » : Début 90’s les sampleurs/lecteurs d’échantillons envahissent le marché et Schulze suit le mouvement, délaissant au passage les sonorités purement synthétiques qui ont fait sa gloire. Il s’ensuit une série d’albums à l’intérêt très discutable (« Schulze goes classique », « Totentag », « Dresden »). Mais le plus important, c’est qu’il retrouve la pêche, redevient productif et recommence les concerts (« Royal festival hall »). Alors que Schulze flirte désormais allégrement avec la musique classique et même l’opéra ; la nouvelle scène électronique l’estampille « Grand père de la Trance »! Fort de ce paradoxe, et se disant certainement qu’il s’était éloigné de son sujet, Schulze revient à une musique électronique plus traditionnelle à base de séquences et de sons synthétiques vers le milieu des 90s : « In blue » et « Friendship »(avec Manuel Gottsching !) sont particulièrement bons.
De 1997 à 2013: Même s’il n’a pas retrouvé son ancien statut de « star », il est redevenu un artiste de premier plan, une légende vivante reconnue et plébiscitée par tous… Faisant table rase de ses démons passés (et ayant survécu à une terrible pancréatite...), il a retrouvé une productivité semblable à celle des seventies où qualité rime avec quantité. Bien sûr on peut préférer le Schulze de « Moondawn » à celui de « Moonlake », mais le plus important est que sa vision musicale reste inchangée est que sa maîtrise est proprement stupéfiante (Minimoog, Roland Fantom et plugins se partagent la scène…). Contrairement à Edgar Froese, Schulze avait toujours de l’inspiration pour prendre ses auditeurs dans sa toile…
A posséder: "Are you sequenced?" et le DVD live "Rheingold"
2018: Bon, il faut se rendre à l'évidence, Schulze ne fait plus rien depuis 5 ans et sa santé doit être plus que précaire...
Tangerine Dream
Le groupe d’Edgar Froese est certainement le groupe le plus productif de toute l’histoire de la musique en plus de 40 ans d’existence ! Seulement voilà, derrière ce nom cultissime se cachent des réalités très différentes. Tout le monde sait que l’âme de Tangerine Dream était Chris Franke et que son départ en 1987 a « tué » le groupe. Edgar Froese a continué sans lui mais la qualité a très nettement baissé ; et se fut encore pire après le départ de Paul Haslinger en 1990, remplacé par le très médiocre Froese junior. Pour résumer, j’ai distingué 5 périodes « clefs » , soit du meilleur au pire.
1972 - 1977 : Après des débuts psychés proches du Pink Floyd de « Saucerful of secrets », le trio Froese/Frank/Baumann devient la référence absolue du krautrock synthétique et planant, emboîtant finalement le pas à leur ex-collègue Klaus Schulze (que Froese avait plus ou moins viré parce qu’il avait utilisé des bandes son bizarres !). Fondamentalement les 2 ont une vision commune et utilisent les mêmes recettes musicales; mais bien sûr l’approche est différente. TD a un côté « rock » plus prononcé: Froese, guitariste de formation n’hésite à empoigner sa Gibson pour des solos rageurs et les séquences que Frank tirent de son Moog modulaire sont d’une puissance jamais dépassée (la réputation du groupe vient surtout de là). Bref, même si je préfère la musique de Schulze durant les seventies ; celle de TD est tout aussi riche et intéressante : « Rubycon », « Ricochet », « Stratosfear », « Encore » sont des albums indispensables. Mais TD étant surtout un groupe « live », il existe des enregistrements officieux (souvent issus de Broadcast) aussi passionnants que les albums officiels ; d’autant plus que la musique étant très largement improvisée à cette époque (forcément puisque les mémoires informatiques n’existaient pas…), c’est autant de « nouveaux » albums à découvrir.
1978 – 1979 : Fin 77, Baumann quitte le groupe pour une carrière solo qu’il rate malgré un bon début (« romance 76 »)… Froese et Frank, désormais en duo, explorent de nouvelles voies en ajoutant des paroles et des instruments acoustiques dans « Cyclone », ce que les fans fustigent ! Retour donc l’année suivante à un album 100% électronique, le très bon « Force majeure». Puis le tandem fait la rencontre d’un musicien d’exception qui va transcender la musique du groupe : Johannes Schmoelling.
1980 – 1985 : Alors que Froese et Frank sont autodidactes, Schmoelling possède de solides bases musicales. Son apport tant sur le plan harmonique que mélodique est considérable. Sous son impulsion, la musique (modale) du groupe devient plus structurée, plus concise aussi (des morceaux courts avec des thèmes comme Jarre ou Vangelis) et les lives ne sont plus de longues improvisations comme avant puisque la technologie permet désormais de mémoriser les sons et les séquences. Mais TD reste un groupe avant-gardiste et n’abandonne pas pour autant les pièces climatiques. Le trio réussit l’exploit d’allier de superbes compositions à une instrumentation de pointe , qui, malgré un profond changement en 1984 (l’Emulator 2 et le DX7 remplacent les « vieux » moog et prophet..), reste le must absolu du genre. La richesse des arrangements (100% analogiques jusqu’en 1983) et la beauté des mélodies font de cette période la meilleure du groupe (et la meilleure de l’elektronika en général…). Tous les albums studios et les lives de « Pergamon » à « Le parc » sont indispensables. Les BOF sont d’un intérêt moindre (souvent des remix ou des thèmes moins aboutis…), à l’exception de « Thief » (l’un des meilleur opus du groupe) et de « Firestarter » (avec ces petites touches jazzy propres à Schmoelling). Les lives reprennent le même matériel que les albums et sont moins indispensables que ceux des seventies, mais il faut absolument se procurer Firenze 1981 et Sydney 1982 pour 2 morceaux fa-bu-leux souvent joués en concerts mais non publiés officiellement : « Calymba Caly » et « Thermal inversion »…Finalement fatigué par 5 années de travail non stop, Schmoelling quitte le groupe à l’amiable après un très bon « le parc » qui démontre que TD s’adapte trés bien aux nouvelles technologies et aux formats de l’industrie musicale sans « trop » sombrer dans les facilités du commercial…
1985 – 1987 : Johannes commence une carrière solo réussie avec une musique très personnelle fort éloignée de celle de TD, une sorte de jazz –electro plutôt minimaliste. Il est remplacé l’année d’après par un jeune pianiste autrichien, Paul Haslinger. En 1986 sort le dernier « grand » disque de TD : « underwater sunlight », magnifique d’un bout à l’autre et qui laissait entrevoir tout le potentiel dont TD disposait encore. Seulement voilà, Froese accepte tout et n’importe quoi et épuise la créativité du groupe dans une série d’œuvres mineures (mais qui restent objectivement d’un haut niveau…). De plus la présence à la guitare du fils de Froese (le nullissime Jérome Froese qui serait sans doute vendeur de voitures s'il n'était pas le fils à papa...) aux sessions irrite profondément Chris Frank. Epuisé, celui-ci jette l’éponge après une dernière tournée en 1987 (le très bon « livemiles ») et le groupe s’effondre sans son Atlas!
1988 - 1990 : Froese décide de continuer TD avec Haslinger et le fiston. Sur le label « Private » de Peter Baumann, les albums restent d’un bon niveau même si ce n’est plus (du tout) du « vrai » TD : ça s’écoute malgré tout sans problème (« Lily on the beach » , « miracle mile »). Mais le coup de grâce est porté par le départ en 1990 de Paul Haslinger qui suit les traces de Chris Frank et s’installe à Hollywood pour composer des musiques de film.
De 1991 à aujourd’hui : Faut-il encore parler de « Tangerine Dream » tellement le niveau de qualité a baissé ? Prétextant des raisons d’indépendance financière, Froese tombe dans un mercantilisme qui pille jusqu’au trognon la réputation légendaire du groupe. Evidemment, sur la quantité industrielle de musique produite « au mètre » en 20 ans, il y a ponctuellement du bon (notamment le « live 220v » et le morceau ou Froese joue de la guitare ) ; mais il y a surtout du mauvais, voir de l’exécrable (les "compos" minables à un doigt de Jérome Froese, des hordes de remix pourris…). Pire encore, que ce soit en live ou dans d’innombrables compils pourries, Froese "joue" des synthés récents par-dessus d’anciens morceaux (il appelle ça «tangerizer » mais quelqu’un de saint d’esprit appelle ça un sacrilège et moi j’appelle ça prendre les fans pour des cons, ce qu'il fait depuis 20 ans…). La musique du groupe ne ressemble plus à rien et reste désespérément vide… Parfois les morceaux sonnent encore moins bien que des démos internes de synthés ; bref, c’est du grand portnawak ! D'ailleurs, pour avoir vu des vidéos récentes de Froese, émacié et totalement mégalo; on peut se poser des questions sur sa santé mentale... Les productions récentes du groupe (désormais sans junior) ainsi que les lives distillent un ennui colossal malgré les moyens mis en oeuvre. Un come back raté pour le grand Edgar, contrairement à son ex-collègue, l’immense Klaus Schulze…
RAJOUT Février 2015: Bon ben voilà, le grand Edgar a tiré sa révérence et s'en est allé rejoindre Robert Moog, Dali (son maître) et Monique (sa femme). On oubliera tout ce qu'il a fait depuis 1988 pour ne garder que le bon (même Cyclone!).